Grégory Berkovicz dresse un bilan et analyse les perspectives des concessions en France.
Les contrats de concession tels que nous les connaissons aujourd’hui en France sont le fruit d’une évolution séculaire, faite de lentes sédimentations juridiques, d’évolutions des besoins économiques, de structuration des acteurs, et notamment des grands concessionnaires, champions français de la gestion déléguée, et de bouleversements d’usages plus ou moins subis par ces derniers du fait de l’émergence d’une conscience citoyenne de plus en plus prégnante. Cette évolution a suivi celle de l’action publique, des services publics et des partenariats public-privé1 (PPP) qui en sont issus.
Si l’on regarde l’évolution la plus récente, celle des vingt dernières années, alors ce qui frappe évidemment l’observateur c’est que les concessions ont connu elles-aussi leur « unification européenne », tout comme l’ensemble du droit public français, mais peut-être avec un léger retard.
Est-il nécessaire de rappeler que la concession a longtemps été, au plan communautaire, l’angle mort des contrats publics d’affaires ? Avant 2014, le droit de l’Union européenne ne traitait que marginalement des concessions de travaux, ce qui contrastait alors avec le droit français, qui règlementait la concession sous diverses formes (délégations de service public, concessions de travaux, concessions d’aménagement…)2.
Mais la donne change avec la directive 2014/23/UE. La notion même de concession est clarifiée, et distinguée du marché public via le critère du risque opérationnel pris par le concessionnaire, alors déjà consacré par la jurisprudence communautaire3, ainsi que par le droit français.
La définition de la concession en droit européen se veut en outre englobante. Une concession peut d’abord concerner des travaux ou des services. Au demeurant, la concession de services ne vise pas les seuls services publics. La présence d’un tel service permet seulement de distinguer entre les délégations de service public (quand l’autorité concédante est une collectivité locale), survivance française sans enjeu réel, arrachée par les juristes les plus nostalgiques voire les plus réactionnaires du secteur des grands concessionnaires, et les concessions de services « simples », à l’instar des concessions relatives à l’exploitation de mobiliers urbains d’information.
Une autre tendance à souligner concernant les contrats de concession réside en leur relative complexification au fil des ans.
En atteste le volume contractuel qui en résulte, bien loin des cahiers des charges de quelques pages que les praticiens les plus jeunes n’ont pas connus.
Nous illustrerons encore cette tendance à travers la possibilité pour les concessionnaires de bénéficier de recettes accessoires, en sus des recettes directement tirées de l’exploitation de l’ouvrage ou du service, laquelle conduit aujourd’hui à des montages complexes, mêlant concession et bail emphytéotique ou à construction, vente en l’état de futur achèvement, cession de droits avec charges, etc.
Cette complexification des concessions se manifeste également à travers la possibilité de faire varier sa durée contractuelle selon les équipements concédés au sein du même contrat, pour des raisons d’amortissement et de rentabilité.
Cette règle illustre aussi le phénomène de prise en compte de plus en plus forte de la dimension économique des contrats publics, comme en atteste encore la définition elle-même de la concession, distincte du marché en ce que l’opérateur titulaire assume un risque commercial, qualifié d’aléa de marché.
Esquisser une rétrospective récente des concessions implique aussi de ne pas occulter le succès connu par ce mode contractuel.
La concession, davantage acceptée que le marché de partenariat, perçu comme le modèle du PPP, est aujourd’hui en fait le PPP privilégié des collectivités territoriales et de l’Etat, en raison de sa meilleure image « politique », de sa procédure de passation moins contraignante mais aussi d’un traitement budgétaire de faveur qui autorise sa déconsolidation.
Ce traitement favorable explique en partie les raisons pour lesquelles certaines collectivités n’hésitent pas à « maquiller » de véritables marchés de partenariat, en contrats de concession, via notamment des mécanismes de subvention rendant le risque de pertes potentielles du « concessionnaire » théorique et négligeable.
Ces dévoiements interrogent sur la nécessité impérieuse de revoir la comptabilité publique locale, notamment afin de clarifier les notions floues et obsolètes d’endettement et d’établir enfin une valorisation comptable du patrimoine public local : cela serait une révolution, mais c’est une autre affaire…
Ce succès de la concession auprès des collectivités locales a en outre été renouvelé grâce à l’introduction, en droit français, de l’outil qu’est la société d’économique mixte à opération unique (SEMOP)4.
Les collectivités territoriales et leurs groupements ont en effet depuis 2014 la possibilité de créer une société d’économie mixte exclusivement dédiée à la conclusion et à l’exécution d’un contrat passé avec ces collectivités ou ces groupements. Et ce contrat visé était avant tout, dans l’esprit des rédacteurs, une concession de service public.
Le montage d’une concession en SEMOP permet, pour les collectivités, un renforcement du contrôle de l’activité du concessionnaire grâce notamment à la détention d’une minorité de blocage et la présidence du conseil d’administration de la société, ainsi qu’une participation concrète à la vie opérationnelle de la société concessionnaire.
Ce succès de la concession est tel, qu’on la retrouve partout, et parfois sous des formes « cachées » : l’on pense notamment aux secteurs du logement social ou de la distribution d’énergie.
Néanmoins, à notre sens, aucun travail académique ou moins encore administratif, approfondi et systématique d’évaluation économique de la concession n’a été fait.
Il nous semble pourtant capital de se questionner sur la valeur ajoutée du service délégué, et de se demander ce qu’aurait pu être ledit service si la collectivité n’avait pas décidé d’abandonner les recettes qui en sont issues au profit de son cocontractant.
Enfin, nous conclurons nos propos en évoquant l’avenir des concessions. Le plan de relance le démontre, le futur est à la transition écologique. Dès lors, nous ne pouvons que nous interroger sur la pertinence à long terme d’un tel mode contractuel, qui repose en grande partie sur l’idée de croissance économique infinie, peu en phase avec le concept de sobriété environnementale… A moins que le modèle évolue et ne soit plus seulement fondé sur la rémunération du service d’un point de vue quantitatif, mais aussi qualitatif, en particulier écologique. Mais sera-t-on encore en présence d’une concession ou faudra-t-il réhabiliter le marché de partenariat ?
Grégory Berkovicz
Avocat associé Principal GB2A Avocat, Docteur en droit public, ancien Professeur associé à l’IAE de Paris, MRICS
- Nous appellerons ici « partenariat public-privé » toutes les formes institutionnelles ou conventionnelles d’intervention d’opérateurs économiques dans l’exécution des services publics et supposant des investissements privés, même si ce terme en France a pris depuis quinze ans un sens dévoyé et péjoratif !
- Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (dite « loi Sapin ») sur les délégations de service public ; ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 relative aux contrats de concession de travaux publics ; Dispositions du Code de l’urbanisme relatives aux concessions d’aménagement (articles R.300-4 et suivants).
- CJUE 10 mars 2011, Privater Rettungsdienst, aff. C-274/09.
- Code Général des Collectivités Territoriales, art. L. 1541-1 et suivants.
- Source La Revue Politique